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    « Nous avons de profonds liens »: le Mali n’entend pas rompre ses relations avec la France

    Écrit par le 05/03/2021

     

    Le Mali n’envisage pas de rompre ses relations avec la France, assure le Premier ministre malien à Sputnik, tout en pointant l’implication de Paris dans l’entraînement des groupes armés sévissant dans le pays. Elena Zeganova.

     

    Alors que les relations avec Paris sont extrêmement tendues, Choguel Kokalla Maïga, chef du gouvernement malien après le dernier coup d’État survenu en mai, assure que les deux pays sont liés par de « profonds liens ».

    « Je pense que personne ne prendra la responsabilité de rompre les relations avec la France. Ce n’est pas notre objectif, ce n’est pas l’objectif de notre gouvernement », a déclaré le chef du gouvernement malien en russe dans un entretien à Sputnik lors de son déplacement à Genève le 8 octobre.

    « Nous avons de profonds liens, à travers l’histoire, à travers les gens. Le plus gros contingent [militaire, ndlr] de France après l’Algérie est au Mali. Nous avons beaucoup de liens grâce aux relations humaines. Des liens historiques, culturels, économiques », a-t-il expliqué.

    Le Premier ministre malien et le Président français se sont échangés plusieurs piques ces dernières semaines. Fin septembre, à la tribune de l’Assemblée générale de l’Onu, Choguel Kokalla Maïga a qualifié d’ »abandon en plein vol » le désengagement militaire français au Sahel. Le chef de l’État français a jugé ces accusations de « honte ». Le 5 octobre, Emmanuel Macron a appelé le gouvernement transitoire malien à ce que « l’État revienne » au pays. Le même jour, Bamako a qualifié ces propos de « regrettables » et a convoqué l’ambassadeur de France.

     

    « Groupes armés entraînés par des officiers français »

    Néanmoins, Choguel Kokalla Maïga a imputé à la France l’entraînement de groupes armés dans certaines régions.

    « Le Mali n’a pas accès à Kidal, c’est une enclave contrôlée par la France. Là, il y a des groupes armés entraînés par des officiers français. Et nous en avons la preuve. Nous avons une expression selon laquelle si vous cherchez une aiguille dans votre chambre, et qu’une personne impliquée dans la recherche de cette aiguille tient son pied dessus, alors vous ne la trouverez jamais. C’est la situation actuelle au Mali, que nous ne comprenons pas et ne voulons pas supporter », a-t-il avancé.

    La France, active au Sahel contre les groupes djihadistes depuis 2013, a annoncé en juin 2021 la fin de son opération Barkhane. Paris a fait part de sa volonté de réorganiser son dispositif militaire avec une réduction de ses effectifs d’ici à 2023 à 3.000 hommes environ, contre plus de 5.000 aujourd’hui. Un mois avant cette annonce, en mai 2021, un coup d’État est survenu dans le pays.

    Plusieurs ONG de défense des droits de l’homme comme Human Rights Watch et Amnesty International ont également fait part de leurs préoccupations depuis l’annonce du verdict. « Il s’agissait d’un procès spectacle, plutôt que d’une enquête judiciaire équitable« , a déclaré Geoffrey Robertson, l’expert de TrialWatch for Justice de la Fondation Clooney.

     

    Le temps de la complaisance aujourd’hui révolu?

    La page des critiques ne semble pas près de se refermer de sitôt. La résolution que vient de passer le Parlement européen est lourde de signification dans la mesure où elle attaque frontalement le procès Rusesabagina. Une première, diront certains. Adopté à la quasi-unanimité (660 voix contre 2 et 18 abstentions), le texte critique « l’arrestation illégale de M.Rusesabagina » et demande sa « libération immédiate pour des raisons humanitaires« . Il exhorte la délégation de l’UE au Rwanda ainsi que les ambassades des pays de l’UE à « transmettre fermement cette demande » aux autorités rwandaises.

     

    « Paul Rusesabagina a été forcé de faire des aveux… sans la présence d’un avocat », a déclaré l’eurodéputée sociale-démocrate belge Kathleen Van Brempt au Parlement lors d’un débat avant le vote. Elle a ajouté que Rusesabagina était âgé de 67 ans et avait besoin de soins médicaux, ce qui signifie que sa peine de 25 ans « est de facto une condamnation à mort ».

     

    Selon la résolution, l’affaire Rusesabagina « est l’exemple même des violations des droits de l’homme au Rwanda« . L’eurodéputé chrétien-démocrate belge Tom Vandenkendelaere a exhorté l’Union à accroître la pression sur le Rwanda.

    Cette sortie du Parlement européen marque un tournant important dans les relations entre Kigali et Bruxelles. Pendant longtemps, en raison du « crédit du génocide » – une politique de complaisance à l’égard du régime de Paul Kagamé pour avoir prétendument « arrêté » le génocide -, le Rwanda a bénéficié de la mansuétude de la communauté internationale en général et de l’Union européenne en particulier, en dépit des graves violations des droits de l’homme qu’il commettait chez lui et dans la région des Grands Lacs, notamment dans l’est de la République démocratique du Congo, comme en témoignent régulièrement de nombreux rapports internationaux, notamment ceux d’experts de l’Onu. Cette époque semble révolue…

     

    Quelle suite?

    Faut-il pour autant s’attendre à des répercussions sur le plan diplomatique, notamment de la part des alliés traditionnels du Rwanda?

    S’il est encore trop tôt pour le dire, force est de reconnaître que le procès Rusesabagina va laisser des traces indélébiles dans les relations entre le Rwanda et ses partenaires traditionnels. Du côté américain et britannique, ça fait un moment qu’on essaie de prendre une certaine distance vis-à-vis de Kigali, et présentement l’heure est à un attentisme vigilant. Selon le professeur Filip Reyntjens, spécialiste du Rwanda, qui s’entretenait avec l’auteur de ces lignes, le temps de la complaisance semble dépassé.

     

    « À Kigali, on se rend très bien compte qu’on grignote de plus en plus sur le crédit génocide accordé au FPR », fait observer le politologue belge pour qui « la réputation du régime est nettement moins bonne qu’il y a environ 10 ans », et que « le procès va certainement contribuer à diminuer la hauteur morale du régime ».

     

    Haro sur la coopération judiciaire!

    Aussi, peut-on se demander quelle sera la conséquence de l’affaire Rusesabagina sur les pratiques futures en matière d’extradition. Ces dernières années, en effet, plusieurs pays occidentaux, notamment ceux de l’UE, ont extradé vers le Rwanda des Rwandais soupçonnés ou accusés d’avoir participé au génocide de 1994. C’est notamment le cas des Pays-Bas qui ont extradé, fin juillet 2021, Venant Rutunga, 72 ans, soupçonné d’avoir fait appel aux miliciens Interahamwe pour massacrer les personnes réfugiées dans l’enceinte de l’Institut de recherche agricole (ISAR) qu’il dirigeait. Avec la condamnation controversée de Rusesabagina, la coopération judiciaire avec le Rwanda, qui s’est beaucoup améliorée ces dernières années non sans difficulté, ne risque-t-elle pas d’être fragilisée?

    Tout ceci témoigne de l’influence grandissante des États-Unis en RDC. D’ailleurs, l’Oncle Sam n’est pas étranger au changement de paradigme politique observé ces derniers mois dans le pays. C’est en effet grâce à lui que Félix Tshisekedi a pu se défaire, non sans difficultés, de l’étouffante tutelle de son prédécesseur qui avait gardé la haute main sur les différents leviers du pouvoir. Désormais seul au volant de la RDC, le chef de l’État congolais peut manœuvrer à sa guise sans perdre de vue les desiderata des Américains. Depuis plusieurs mois, ceux-ci usent de toute leur habileté pour l’amener à revoir les contrats chinois…

     

    La réaction de l’Empire du milieu

    En fait, ce sont les États-Unis qui ont poussé Félix Tshisekedi à renégocier les contrats miniers conclus avec la Chine par son prédécesseur. Le bras de fer entre Kinshasa et Pékin aura été «largement inspiré et épaulé par les États-Unis» révélait en mai dernier le magazine Africa Intelligence, réputé pour ses révélations sur les réseaux de pouvoir en Afrique. Les Américains s’en cachent à peine, à en juger par la réaction de l’ancien envoyé spécial US pour les Grands Lacs, l’ambassadeur Peter Pham, en partageant ce billet de la revue sur son compte Twitter.

    Dans un environnement international concurrentiel où les deux grandes puissances se livrent une guerre commerciale sans merci, tous les coups sont permis. Si l’Empire du milieu s’est montré assez coulant jusqu’à présent, rien n’indique qu’il va observer les États-Unis manœuvrer contre ses intérêts sans bouger. Preuve que l’enjeu revêt une importance capitale aux yeux de Pékin, le Président Xi Jinping s’est entretenu au téléphone avec Félix Tshisekedi à ce propos, il y a quelques semaines. Au mois de juin dernier, c’est le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, qui s’est rendu en RDC pour discuter des relations sino-congolaises, annonçant dans la foulée l’annulation d’une partie de la dette de la RDC de l’ordre de 180 millions de yuans, soit plus de 28 millions de dollars américains.

    Parallèlement aux ballets diplomatiques et à ce geste de bonne volonté, on assiste à un activisme de plus en plus offensif de l’ambassadeur de Chine en RDC, Zhu Jing, tant sur le terrain que sur les réseaux sociaux. Abordant sur sa page Twitter la question de la révision des contrats miniers conclus entre son pays et la RDC, le diplomate a prévenu: «La RDC et l’Afrique ne doivent pas être le champ de bataille des puissances». Comme pour dire que la Chine est parfaitement consciente du fait que le vent de changement dans le secteur minier qui souffle à la présidence congolaise vient d’horizons lointains…